samedi 6 juin 2009

dossier 2/8: Égalité et Réconciliation.


Difficile d’évoquer E&R sans prendre en considération le curriculum vitae de son fondateur : Alain Soral. Né en 1958, cet essayiste, sociologue autoproclamé, provocateur des plateaux télés, ancien membre du Parti communiste, a été remarqué dès 1993 pour ses prises de position rouge-brun1. Malgré son sexisme et son homophobie affichés, sa posture antisystème a un temps fait illusion. Il est l’un des premiers soutiens de Dieudonné après le sketch du rabbin, et forme politiquement le comique. Ils participent ensemble à la liste EuroPalestine en 2004. Les responsables de la liste seront d’ailleurs contraints de prendre leurs distances avec eux. En cause, les propos antisémites tenus par Soral, pour lesquels il sera condamné2. Il participe au voyage de Dieudonné au Liban. Il décrira l’union des différentes forces libanaises face à Israël : Maronites, PSNS3 et Hezbollah4. Cette découverte l’a inspiré au point de vouloir fédérer rouges-bruns, extrême droite et communautaristes contre le système, le mondialisme ou le « sionisme » ! Soral s’est habilement rapproché de Marine Le Pen. Il est devenu en 2005 une éminence grise du FN. Son parcours s’inscrit dans le climat de luttes intestines qui règne au sein du parti à la veille de la succession programmée de Jean-Marie : Marine coupe les têtes des principales tendances. Le FN cesse d’être un conglomérat de tendances opposées réunies le temps d’élections pour se scinder en deux, selon J-Y Camus, avec « une [tendance], qui reste fidèle au nationalisme de l’État-nation et peut évoluer vers une conception multiethnique de celui-ci (c’est l’orientation de Marine Le Pen); et l’autre, qui se réclame d’un nationalisme européen, fondé sur l’Europe des régions et des ethnies, totalement anti-intégrationniste et islamophobe5 ». E&R est fondé par Soral en juin 2007, il s’adjoint les services de deux anciens du Liban : Georges et Chatillon, et de deux ex-gudards, Penninque et Mahé. L’association se veut à la fois une pépinière au service du FN et un mouvement développant une doctrine nouvelle et autonome qui réorienterait le discours vieillot de l’extrême droite vers l’électorat actuel. Le mouvement drague à gauche : Soral a confirmé qu’E&R est « un peu6 » l’héritier du Cercle Proudhon7 et ouvre résolument ses portes à tous les communautarismes prônant « un nationalisme français, assimilationniste mais non métisseur ».
Les deux universités du mouvement ont compté parmi leurs invités des figures aussi diverses que Le Pen, Dieudonné, Christian Bouchet (animateur du site vox-NR), Serge Ayoub8 (« Batskin »), Jacques Cheminade, représentant Lyndon Larouche, politicien rouge-brun nord-américain, Franck Timmermans, dirigeant du Parti populiste fondé par d’anciens militants du FN mais aussi « un chrétien libanais partisan du général Aoun, [...] de jeunes beurs radicalisés, [...] quelques islamistes dont un salafiste [...] partisan du FN au nom du séparatisme communautaire9 ». Le discours « anti » se construit en creux : la posture victimaire nécessite un adversaire unique. Le mouvement professe ainsi que les politiques français sont contrôlés par les USA et derrière eux, par Israël10. Le socle théorique qu’il propose offre à l’évidence une forme de nouvelle voie qui agrège en un corpus confus certains éléments idéologiques issus de l’extrême droite traditionnelle et privilégie cependant des pratiques neuves, notamment en termes d’alliances. Plus profondément, ce sont les bases du nationalisme tel qu’il a été pensé et porté en France depuis plus d’un siècle qu’il réinterroge. Il recherche l’« union sacrée de la gauche du travail et de la droite des valeurs » et lui oppose le manque de moralité des libertaires, alliés au capitalisme mondialisé. Il valorise la nation, seule capable de « protéger le peuple de la violence du libéralisme mondialisé et de la tentative hégémonique de ce mondialisme comme mouvement politique11 ». Soral considère les Français « d’origine étrangère » au même titre que les Français « de souche », comme des victimes du pouvoir financier qui les a importés comme main-d’œuvre à bas prix pour casser les acquis sociaux des Français. La notion de république, systématiquement accolée à celle de nation, lui permet aussi d’élargir la notion de peuple français traditionnel à l’ensemble des détenteurs d’une carte d’identité en y incorporant les enfants de l’immigration. C’est principalement en ceci qu’il rompt avec l’un des piliers idéologiques de l’extrême droite : le droit du sang. Conscient du potentiel électoral offert par les Français issus de l’immigration, il souhaite les assimiler à la République, tout en refusant le métissage (« la destruction de toutes les différences12 »). Son projet est une « république des communautés ». Les victimes de ses ennemis sont ses alliés, or « il y a des lobbies qui poussent [...] à la ratonnade. Le bouc émissaire a changé, aujourd’hui, c’est le Maghrébin13 ». Il s’oppose d’ailleurs à la stratégie d’une partie de l’extrême droite qui tend à agiter la menace islamiste. Afin de cimenter cette alliance, il cherche à définir un ennemi commun protéiforme et impalpable, à la fois trotskyste mondialisé, « sioniste », impérialiste, atlantiste, etc. Ce champ lexical, ainsi que la référence permanente au sionisme laisse penser que cet ennemi n’est pour E&R pas si flou que Soral le laisse entendre… Mais peut-être se souvient-il de sa condamnation en 2007, et son courage politique, plastronné sur tous les plateaux de télé, a ses limites.

notes
1 Corédacteur avec Marc Cohen et Jean-Paul Cruse de l’appel « Vers un front national » paru dans L’Idiot international.
2 « On cherche à obtenir de la part des gens qui sont dans les médias un soutien inconditionnel à Israël [...]. En gros, c’est à peu près ça leur histoire, tu vois. Ça fait quand même 2 500 ans, où chaque fois qu’ils mettent les pieds quelque part, au bout de cinquante ans, ils se font dérouiller. »
3 Parti syrien national-socialiste, d’inspiration nazie.
4 Soral, entretien à radio Courtoisie, le 19 septembre 2006.
5 CAMUS (J-Y), cité in D. SEVERNAY, Ce n’est plus Jean-Marie Le Pen qui dirige le Front national, Rue89, 17 novembre 2008.
6 « Ce soir ou jamais », France 3, 12 novembre 2007.
7 Cercle de réflexion qui réunissait, au début du XXe siècle, maurrassiens et syndicalistes révolutionnaires sur fond d’antisémitisme.
8 S’est désolidarisé l’année suivante en faisant main base sur le local/bar d’E&R. Il pensait que « tout axer » sur l’idée que « le nationalisme serait ressourcé par l’immigration » était une erreur.
9 CAMUS (J-Y), Actualité juive, 3 octobre 2007.
10 Rivarol, extrait : « Sarkozy [...] est un pur agent néoconservateur, le candidat des républicains en partie financé par de puissants lobbies américains. N’est-il pas allé à New York rencontrer les dirigeants de l’AIPAC (American-Israël Political Action Committee ? [...] Son premier voyage officiel après cette prise de pouvoir [au sein de l’UMP, ndlr] fut aussi pour l’État d’Israël. »
11 « Ce soir ou jamais », France 3, 1er novembre 2007.
12 Alain Soral, conférence à Fréjus, 23 septembre 2008.
13 Ibid.