samedi 6 juin 2009

dossier 6/8 : Le Mouvement des Damnés de l’Impérialisme (MDI)

Petit retour en arrière. Mai 2006, une trentaine de militants de la Tribu Ka débarquent rue des rosiers, quartier juif parisien, et déclarent ouvertement la guerre aux groupuscules d’extrême droite sioniste. Déferlement médiatique, la machine s’emballe, la Tribu Ka a réussi son coup et parvient à faire parler d’elle. Jusqu’ici, la Tribu Ka cantonnait son activité à la tenue de réunions informelles interdites aux « leucodermes » (Blancs), aux Juifs et aux Arabes, et ne rassemblait pas grand monde hormis une trentaine de mecs probablement recrutés pour leurs gabarits plutôt que pour leurs capacités intellectuelles. Objet politico-mystique non identifié, la Tribu Ka, par l’intermédiaire de son leader autoproclamé, le Fara (guide) Kemi Seba, se réclame du kémitisme et de l’afrocentrisme. Cocktail idéologique hasardeux. Ils revendiquent l’héritage spirituel de Malcolm X, des Black Panthers et de Marcus Garvey revus et corrigés à la sauce suprématiste noire. La Tribu Ka connaît une disparition précoce, rapidement inquiétée par la justice qui ordonne sa dissolution pour incitation à la violence et à la haine raciale. La Génération Kemi Seba prend le relais et amorce sa mutation. GKS se définit principalement comme une organisation « antisioniste », c’est pourquoi une petite frange de l’extrême droite française (notamment le Renouveau français1) lui fait des œillades. Composée principalement de militants noirs, elle annonce son intention de présenter une liste aux élections municipales de Sarcelles. Objectif avorté, la GKS ne parvient pas à dépasser le stade groupusculaire. En avril 2008, le groupe est condamné pour reconstitution de ligue dissoute. Les déboires judiciaires n’entravent pas l’acharnement de Kemi Seba qui voit ici l’occasion de tirer avantage de ce nouveau revers, de repenser totalement l’organisation et son discours public. Il impulse conséquemment le MDI avec la volonté de structurer le mouvement et de le doter d’une orientation « rationalisée ». Stellio Capo Chichi – alias Kemi Seba – n’en est d’ailleurs pas à son premier virage théorique. Après un passage par la Nation de l’Islam puis un dérapage dans le kémitisme (il déclare alors que l’Islam est une secte lors d’un meeting à Rosny-sous-Bois, en 2005), sa trajectoire opportuniste le pousse finalement à se convertir en juillet 2008. Le MDI est une organisation revendiquant l’ethnodifférentialisme, ouverte à tous ceux qui cherchent à se regrouper pour lutter contre le « sionisme », quelles que soient leurs origines. Le mouvement se structure autour d’un bureau composé d’une demi-douzaine de membres ayant chacun en charge un secteur d’intervention. Parmi ces derniers, nous retrouvons Boris le Lay, au poste de chargé des relations extérieures, girouette animatrice du blog « le réveil des indigènes » qui est passé sans transition de la défense des intérêts d’Israël en qualité de président de Breizh Israël à la haine du sionisme2. Afin de se parer d’une envergure nationale de façade, le mouvement désigne une petite dizaine de responsables d’antennes régionales et locales. L’implantation dans les quartiers semble être la priorité du mouvement. En septembre 2008, Banlieues anti-système (BAS) fusionne avec le MDI. Soumayya Sekhmet Fal est nommée à la tête du secteur banlieue et responsable des Jeunesses Kemi Seba dont l’objectif est de recruter et d’intégrer les jeunes des quartiers. Seyf Awa, quant à elle, rejoint la direction de la branche panarabe qu’elle coanime avec Siddiq Seth, « spécialiste » de la question palestinienne. Pour compléter le tableau, le MDI a également mis en orbite une branche panafricaine chargée d’animer le mouvement sur les problématiques identitaires noires. Au regard de la structuration du mouvement, l’objectif de conquérir les quartiers est indéniable. Pour l’instant, quelques cellules faméliques revendiquent leur existence dans un nombre très limité de communes. Cependant la capacité de mobilisation du MDI a été multipliée par cinq en deux ans. La stratégie employée est simple : agiter la théorie du complot, déverser sur la Toile des vidéos expliquant que le « sionisme » est à l’origine de tous les maux : crise financière, écrasement du peuple palestinien, humiliation des Arabes, néocolonialisme au Maghreb débouchant sur la déstabilisation de l’économie, le chômage des jeunes et l’émigration ; que les Juifs ont été les initiateurs de l’esclavage des Noirs… En parallèle, le MDI organise des meetings dans les quartiers, des prises de parole sauvages à Châtelet et des rassemblements lors de ses multiples comparutions judiciaires. Indéniablement, le discours du MDI s’est radicalisé alors que Siddiq Seth explique que « c’est parce que nous avons le même ennemi que nous allons nous unir et marcher ensemble quitte à faire couler notre sang jusqu’à la mort et éradiquer le sionisme dans nos pays respectifs3 ». Soumayya Sekhmet Fal estime que la « Jeunesse Kemi Seba, n’ayons pas peur des mots, c’est la jeunesse […] qui veut prendre les armes pour abattre radicalement le système, qui veut prendre les armes pour éradiquer une bonne fois pour toutes le sionisme4 ». Le tribun Seba, quant à lui, ne s’embarrasse pas de circonvolutions oratoires en affirmant : « Le sionisme est le sida de l’humanité5. »
En terme d’alliances politiques et religieuses, le MDI ignore les contradictions pourvu que le préalable à toute entente réside dans la haine profonde et commune du « sionisme ». En mai 2008, le mouvement co-organise un rassemblement à Paris avec la Droite Socialiste contre la politique militaire française en Afrique. En août, Kemi Seba se déplace au centre Zahra. Au cours de son entretien avec Seyyed Yahia Gouasmi, président du centre et de la fédération des chiites de France, structure proche des Iraniens, le leader du MDI fera l’éloge du Hezbollah avant de faire part de son « profond sentiment de respect » pour le président iranien6. En septembre, « les ethnodifférencialistes » poursuivent sur cette voie et appellent à la mobilisation pour « la journée mondiale de Jérusalem ». Véritable conglomérat « d’antisionistes » plus que douteux, la manifestation interdite par la préfecture devait réunir indistinctement le MDI, la fédération des chiites de France, le Centre Zahra, le Parti des musulmans de France de Latreche7, la Plume et l’Olivier de Ginette Skandrani8 et la Droite Socialiste…

Banlieue Anti-Système
BAS naît en 2008 de la volonté de deux jeunes femmes, Soumayya Sekhmet Fal et Seyf Awa de rassembler les jeunes des quartiers sous les bannières de « l’antisionisme » et de l’anti-impérialisme. L’association publie un manifeste censé dresser un constat sur l’état des banlieues et l’histoire de l’immigration en rupture avec le discours de victimisation. Elle tente de fédérer autour d’elle par le biais d’outils de médiation nouveaux, notamment en instrumentalisant le rap. La courte histoire du BAS se résume à une prise de micro forcée à l’antenne de Génération 88.2 pour dénoncer la dérive mercantile du hip-hop qui constitue son principal fait d’armes, à la tenue d’une conférence à Evry, d’un débat sur « l’essence du rap » dans le XVIIIe arrondissement et d’une interview accordée à Égalité et Réconciliation. Cette interview officialise le rapprochement opéré entre BAS et une fraction de l’extrême droite. L’organisation met d’ailleurs carte sur table lorsqu’elle affirme que « malgré les désaccords idéologiques, [ils se retrouvent] sur leur volonté intrépide de rompre avec ce système inique qui est incarné par l’hydre atlanto-sioniste…». La lutte contre « le sionisme » apparaît dès lors comme le fil conducteur de l’association définissant ses alliances et son discours. Les effectifs de BAS se bornent finalement à deux oratrices et une poignée de militants agrémentés d’une poignée de rappeurs inconnus. La principale force de BAS réside dans la détermination de ses deux porte-parole. En septembre 2008, BAS est logiquement absorbée par le MDI. Cette OPA amicale est motivée par l’objectif de concentrer les forces au sein de « l’unique cellule de lutte et de résistance directe à l’empire sioniste en France »9.

notes
1 Alain Ka ou Tribu Soral, Reflexes, 4 décembre 2006.
2 De l’oxymore en politique, Reflexes, 10 juin 2008.
3 Vidéo MDI, branche panarabe, du 21 octobre 2008.
4 Le Monde, 23 septembre 2008, L’alliance des extrémistes noirs et blancs.
5 Vidéo du 24 octobre 2008, conférence de presse au théâtre de la Main-d’or suite à l’annulation de la Journée mondiale de Jérusalem en présence de Kemi Seba, Seyyed Yahia Gouasmi et Dieudonné.
6 Vidéo du MDI avec le Hezbollah contre le sionisme.
7 Latreche arrive à faire parler de lui en 2003 en organisant avec quelques nationalistes révolutionnaires européens une opération « bouclier humain » en Irak. Le leader du PMF publiera avec Skandrani Le Manifeste judéo-nazi d’Ariel Sharon qui « regorge de fantasmes antisémites » d’après l’observatoire du communautarisme.
8 Membre fondatrice des Verts, Ginette Skandrani est exclue du parti pour sa proximité avec les milieux négationnistes en 2005. En 2007, elle était membre du bureau de campagne de Dieudonné pour la présidentielle.
9 Site de BAS.